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L'ombre D'au Clair

  • : Au clair de la lyre
  • : Textes littéraires, portraits d'auteurs, critiques de livres, nouvelles, chansons, poèmes, roman, récits de voyages, les publications de votre année de naissance et la rubrique Lu et entendu recemment.
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Au clair de la lyre

   

 Photo027.jpg 

 

"Votre âme est un paysage choisi

Que vont charmant masques et bergamasques

Jouant du luth et dansant et quasi

Tristes sous leurs déguisements fantasques"


 

Paul Verlaine, Fêtes galantes.   

   

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               Bienvenue dans ce refuge littéraire,
               Toi, voyageur, explorateur ou simplement égaré,
               Des romans, des poèmes, des nouvelles, des chansons,
               Des auteurs, des chanteurs ou tous autres écrivains…
               Tu te trouves, ici, dans le coeur
               De ceux qui aiment, de ceux qui vivent
               Dans un autre univers, parallèle et nuageux.
               Un monde onirique, imaginaire, fantasmé
               Un espace crée pour continuer de rêver…

                                                

4 décembre 2008 4 04 /12 /décembre /2008 13:04


J'ai trouvé sur Youtube une vidéo magnifique de Léo Ferré qui chante une de ses chansons, La solitude en y ajoutant les vers de l'Invitation au voyage de Baudelaire. Le résultat est magnifique. La rencontre de l'écriture de ces deux poètes est inattendue, surprenante et le résultat est une chanson magnifiquement interprétée par Léo Ferré. Je suis étonnée que ce medley à l'ancienne ne soit pas plus connu... Dommage que celui qui a laissé cette vidéo n'ait pas ajouté la date et le lieu d'enregistrement...

J'ajoute à ce joyau les paroles d'Invitation au voyage, poème écrit par Charles Baudelaire et paru dans la partie Spleen et idéal du recueil Les Fleurs du mal (1821-1867). Celui-ci évoque un voyage concret ou spirituel. On voit apparaitre un thème cher à Baudelaire, les correspondances verticales et horizontales. C'est à dire que ce voyage, plus onirique que réel, se fait grâce aux parfums des meubles, des fleurs, de l'ambre (correspondances verticales). Et grâce aux miroirs ils se réverbèrent, se répondent et se mêlent aux correspondances horizontales (ces canaux, "qu'ils viennent du bout du monde", "- Les soleils couchants / Revêtent les champs, / Les canaux, la ville entière, / D'hyacinthe et d'or")  pour créer l'atmosphère. Je vous laisse maintenant profiter de ces deux grands artistes...


 


L'invitation au voyage


    Mon enfant, ma sœur,
    Songe à la douceur
    D'aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
    Les soleils mouillés
    De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
    Si mystérieux
    De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Des meubles luisants,
    Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
    Les plus rares fleurs
    Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l'ambre,
    Les riches plafonds,
    Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    À l'âme en secret
    Sa douce langue natale.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Vois sur ces canaux
    Dormir ces vaisseaux
    Dont l'humeur est vagabonde ;
    C'est pour assouvir
    Ton moindre désir
    Qu'ils viennent du bout du monde.
    - Les soleils couchants
    Revêtent les champs,
    Les canaux, la ville entière,
    D'hyacinthe et d'or ;
    Le monde s'endort
    Dans une chaude lumière.

    Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.


Sur Au clair de la lyre :
-L'Etranger de Baudelaire
-Anecdotes sur Baudelaire
-Les paroles de La solitude
-La préface de "Poètes... vos papiers!" de Léo Ferré

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27 novembre 2007 2 27 /11 /novembre /2007 17:20

En lisant Les Contemplations de Victor Hugo, je suis tombée sur ce poème qui m’a étrangement rappelé le livre de Daniel Pennac, Chagrin d’école. Ce poème date de la deuxième moitié du 19ème siècle. Je ne sais pas si aujourd’hui on peut dire que « le jeune esprit et le jeune regard /Se [lève] avec une clarté sereine / Vers la science auguste, aimable et souveraine » ? Il faudrait le demander à ceux qui vont encore au lycée… Et, si la réponse est négative, alors, peut-être, faudra t’il patienter encore quelques siècles… Une chose est sûre, le débat sur l’école est loin d’être terminé : Les cancres ont encore de beaux jours devant eux !

bonnet-d-ane.jpg
 

A propos d’Horace (Livre l, Xlll)
   
Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues!
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues !
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté !
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles !
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles !
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout !
Car vous êtes mauvais et méchants ! -- Mon sang bout
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique !
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! -- gredins ! --
Que de froids châtiments et que de chocs soudains !
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace !»
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais : «Monsieur... -- Pas de raisons !
Vingt fois l'ode à Panclus et l'épître aux Pisons !»
Or j'avais justement, ce jour là, -- douce idée
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, --
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier !
Je devais, en parlant d'amour, extase pure !
En l'enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais !
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet !
O douleur ! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ;
Et, là, je m'écriais :

                           _Horace ! ô bon garçon !
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux !
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t'accoudais à la table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine ;
Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,
A Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
A Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l'amphore délicate.
La nuit, lorsque Phoebé devient la sombre Hécate,
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
A Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ;
Silène digérer dans sa grotte, pensif ;
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !!
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents !
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée !
Puis j'ajoutais, farouche :
                                    _O cancres ! qui mettez
Une soutane aux dieux de l'éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits !
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches !
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant !
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ;
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ;
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs !
A Pindare serein plein d'épiques rumeurs,
A Sophocle,à Térence, à Plaute, à l'ambroisie,
O traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos moeurs, vos jougs, vos exeats,
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ;
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres,
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ;
Et vousfaites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
A la jeunesse, aux coeurs vierges, à l'espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance !
O fermoirs de la bible humaine ! sacristains
De l'art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l'homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle !
Guichetiers de l'esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau ; porte-clefs de l'azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d'amour, Virgile plein d'étoiles ;
Vous faites de l'enfer avec ces paradis !
Et ma rage croissant, je reprenais :

                                                  _Maudits,
Ces monastères sourds ! bouges ! prisons haïes !
Oh ! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre ! Écoliers ! écoliers !
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au groeculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme !
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons !
Le mannequin sur qui l'on drape des haillons
A tout autant d'esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de coeur ; et l'un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l'autre à du foin.
Ah! je prends Phyllodoce et Xantis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques ;
Mais je hais l'affreux tas des vils pédants iniques !
Confier un enfant, je vous demande un peu,
A tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu !
La mouche en pension chez une tarentule !
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce ! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là !
Ces diacres ! ces bedeaux dont le groin renifle !
Crânes d'oùsort la nuit, pattes d'où sort la giffle,
Vieux dadais à l'air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant !
Ils ignorent comment l'âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître !
Ils en sont à l'A, B, C, D, du coeur humain ;
Ils sont l'horrible Hier qui veut tuer Demain ;
Ils offrent à l'aiglon leurs règles d'écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
O vieux pots égueulés des soifs qu'on ne dit pas !
Le pluriel met une S à leurs meâs culpâs,
Les boucs mystérieux, en les voyants s'indignent,
Et, quand on dit : «Amour!» terre et cieux! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au coeur naissant.
Ils le prennent de haut avec l'adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l'âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent: «Qu'est-ce que c'est que cette folle-là ?»
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent: «Couleurs dures, nuances crues ;
Vapeurs, illusions, rêves ; et quel travers
Avez-vous de fourrer l'arc-en-ciel dans vos vers ?»
Ils raillent les enfants, ils raillent les poètes ;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes :
L'enfant est l'ignorant, ils sont l'ignorantin ;
Ils raturent l'esprit, la splendeur, le matin ;
Ils sarclent l'idéal ainsi qu'un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme

Ainsi l'on m'entendait dans ma geôle crier.

Le monologue avait le temps de varier.
Et je m'exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d'avoir tort dans la forme.
Après l'abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
Car, outre les pensums où l'esprit se dissout,
J'étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre ! Enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux ;
On me faisait de force ingurgiter l'algèbre ;
On me liait au fond d'un Boisbertrand funèbre ;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas ! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires ;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.

Un jour, quand l'homme sera sage,
Lorsqu'on instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l'enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l'éclair gronde, où luit la mer, où l'astre rit,
Et qu'emplissent les vents immenses de l'esprit,
C'est en les pénétrant d'explication tendre,
En les faisant aimer, qu'on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L'écolier ébloui ; l'enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile ;
Et l'on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d'un cuistre ou d'un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L'instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l'ignorance, et prêtre
De l'idée; et dans l'ombre on verra disparaître
L'éternel écolier et l'éternel pédant.
L'aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère ;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine ;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant ;
Le maître,doux apôtre incliné sur l'enfant,
Fera, lui versant Dieu, l'azur et l'harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
O nature, alphabet des grandes lettres d'ombre !
 
Paris, mai 1831. 
 
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27 septembre 2007 4 27 /09 /septembre /2007 11:01
                                  fables-La-Fontaine.jpg

Jean de La Fontaine, né le 8 juillet 1621, est un contemporain de Molière, Corneille, Racine ou encore Perrault. Eclectique, il a écrit des pièces de théâtre, des opéras, des poèmes, des contes et, bien sûr les fameuses fables, au nombre de 240, réparties en 12 livres, publiés entre 1664 et 1682.
Qui n’a pas eu l’occasion de rencontrer les fables de La Fontaine au moins une fois durant sa scolarité ? Le corbeau et le renard, Le loup et l’agneau… Ces fables font parties de notre culture commune. Mais, impossible de résumer son œuvre à ces seuls titres. Je vous propose donc d’en découvrir une un peu moins connue mais plus révélatrice de l’homme.
Le songe d’un habitant du Mogol est la quatrième fable du livre XI publié entre 1678 et 1679. Celle-ci évoque le désir de solitude du poète, l’envie de renouer avec la nature fondatrice, les sources de l’inspiration. Pour ceux qui sont intéressés par la personnalité de cet auteur, un film qui retrace sa vie est sorti en avril 2007, réalisé par Daniel Vigne, avec, dans le rôle de l’écrivain, l’excellent Lorant Deutch.
 
 
Le songe d’un habitant du Mogol
 
 
Jadis certain Mogol vit en songe un vizir
Aux Champs Elysiens  possesseur d'un plaisir
Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée
Le même songeur vit en une autre contrée
           Un ermite entouré de feux,
Qui touchait de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire
Minos en ces deux morts semblait s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla tant il en fut surpris.
Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,
            Il se fit expliquer l'affaire.
L'interprète lui dit «Ne vous étonnez point ;
Votre songe a du sens; et, si j'ai sur ce point
            Acquis tant soit peu d'habitude,
C'est un avis des dieux. Pendant l'humain séjour,
Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;
Cet ermite aux vizirs allait faire sa cour.»
 
Si j'osais ajouter au mot de l'interprète,
J'inspirerais ici l'amour de la retraite
Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais?
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles ?
Quand pourront les neuf soeurs, loin des cours et des villes,
M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sont nos destins et nos moeurs différentes !
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets !
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie,
Je ne dormirai point sous de riches lambris
Mais voit-on que le somme en perde de son prix ?
En est-il moins profond, et moins plein de délices ?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.
 
 
 
Si vous voulez en savoir plus, 2 remarquables sites consacrés à La Fontaine :
 
Et le site du film :
 
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12 décembre 2005 1 12 /12 /décembre /2005 12:38
 
Que pensez-vous de cette conception de la poésie qui est celle de Léo Ferré ?
Plusieurs idées me semblent très intéressantes. Non pas que je sois forcément d’accord avec celles-ci, mais, les amateurs de poésie auront certainement une opinion.
Pour Léo Ferré, la poésie contemporaine (sachant que ce texte date de 1956), abstraite, commune, bourrée de codes, de convenance, de censure, représentant toujours une caste, n’a plus rien à voir avec la « véritable » poésie, celle qui exprime des sentiments, qui est musical et qui doit être clamée.  « La pensée mise en commun est une pensée commune », « Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule » et ce texte vaut vraiment la peine d’être lu pour se souvenir de ce qu’est la poésie. Ce manifeste est à l’image de Léo Ferré, virulent et poétique, magnifique. A tr&vers ces mots, on croit l’entendre alors écoutez… 
 
 
« La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe. Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore. Cela arrange bien des esthètes que François Villon ait été un voyou. On ne prend les mots qu'avec des gants: à "menstruel" on préfère "périodique", et l'on va répétant qu'il est des termes médicaux qui ne doivent pas sortir des laboratoires ou du codex. Le snobisme scolaire qui consiste à n'employer en poésie que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baise-main. Ce n'est pas le rince-doigts qui fait les mains propres ni le baise-main qui fait la tendresse. Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, c'est la poésie qui illustre le mot.

L'alexandrin est un moule à pieds. On n'admet pas qu'il soit mal chaussé, traînant dans la rue des semelles ajourées de musique. La poésie contemporaine qui fait de la prose en le sachant, brandit le spectre de l'alexandrin comme une forme pressurée et intouchable. Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s'ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes: ce sont des dactylographes. Le vers est musique; le vers sans musique est littérature. Le poème en prose c'est de la prose poétique. Le vers libre n'est plus le vers puisque le propre du vers est de n'être point libre. La syntaxe du vers est une syntaxe harmonique - toutes licences comprises. Il n'y a point de fautes d'harmonie en art; il n'y a que des fautes de goût. L'harmonie peut s'apprendre à l'école. Le goût est le sourire de l'âme; il y a des âmes qui ont un vilain rictus, c'est ce qui fait le mauvais goût. Le Concerto de Bela Bartok vaut celui de Beethoven. Qu'importe si l'alexandrin de Bartok a les pieds mal chaussés, puisqu'il nous traîne dans les étoiles! La Lumière d'où qu'elle vienne EST la Lumière...

En France, la poésie est concentrationnaire. Elle n'a d'yeux que pour les fleurs; le contexte d'humus et de fermentation qui fait la vie n'est pas dans le texte. On a rogné les ailes à l'albatros en lui laissant juste ce qu'il faut de moignons pour s'ébattre dans la basse-cour littéraire. Le poète est devenu son propre réducteur d'ailes, il s'habille en confection avec du kapok dans le style et de la fibranne dans l'idée, il habite le palier au-dessus du reportage hebdomadaire. Il n'y a plus rien à attendre du poète muselé, accroupi et content dans notre monde, il n'y a plus rien à espérer de l'homme parqué, fiché et souriant à l'aventure du vedettariat.
Le poète d'aujourd'hui doit être d'une caste, d'un parti ou du Tout-Paris.
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé. Enfin, pour être poète, je veux dire reconnu, il faut "aller à la ligne". Le poète n'a plus rien à dire, il s'est lui-même sabordé depuis qu'il a soumis le vers français aux diktats de l'hermétisme et de l'écriture dite "automatique". L'écriture automatique ne donne pas le talent. Le poète automatique est devenu un cruciverbiste dont le chemin de croix est un damier avec des chicanes et des clôtures: le five o'clock de l'abstraction collective.

La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie; elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche. Il faut que l'oeil écoute le chant de l'imprimerie, il faut qu'il en soit de la poésie lue comme de la lecture des sous-titres sur une bande filmée: le vers écrit ne doit être que la version originale d'une photographie, d'un tableau, d'une sculpture.
Dès que le vers est libre, l'oeil est égaré, il ne lit plus qu'à plat; le relief est absent comme est absente la musique. "Enfin Malherbe vint..." et Boileau avec lui... et toutes les écoles, et toutes les communautés, et tous les phalanstères de l'imbécillité! L'embrigadement est un signe des temps, de notre temps. Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes. Les sociétés littéraires sont encore la Société. La pensée mise en commun est une pensée commune. Du jour où l'abstraction, voire l'arbitraire, a remplacé la sensibilité, de ce jour-là date, non pas la décadence qui est encore de l'amour, mais la faillite de l'Art. Les poètes, exsangues, n'ont plus que du papier chiffon, les musiciens que des portées vides ou dodécaphoniques - ce qui revient au même, les peintres du fusain à bille. L'art abstrait est une ordure magique où viennent picorer les amateurs de salons louches qui ne reconnaîtront jamais Van Gogh dans la rue... Car enfin, le divin Mozart n'est divin qu'en ce bicentenaire!
Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes. Qu'importe! Aujourd'hui le catalogue Koechel est devenu le Bottin de tout musicologue qui a fait au moins une fois le voyage à Salzbourg! L'art est anonyme et n'aspire qu'à se dépouiller de ses contacts charnels. L'art n'est pas un bureau d'anthropométrie. Les tables des matières ne s'embarrassent jamais de fiches signalétiques... On sait que Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes, que Beethoven était sourd, que Ravel avait une tumeur qui lui suça d'un coup toute sa musique, qu'il fallut quêter pour enterrer Bela Bartok, on sait que Rutebeuf avait faim, que Villon volait pour manger, que Baudelaire eut de lancinants soucis de blanchisseuse: cela ne représente rien qui ne soit qu'anecdotique. La lumière ne se fait que sur les tombes.

Avec nos avions qui dament le pion au soleil, avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues", avec nos âmes en rade au milieu des rues, nous sommes au bord du vide, ficelés dans nos paquets de viande, à regarder passer les révolutions. Le seul droit qui reste à la poésie est de faire parler les pierres, frémir les drapeaux malades, s'accoupler les pensées secrètes.

Nous vivons une époque épique qui a commencé avec la machine à vapeur et qui se termine par la désintégration de l'atome. L'énergie enfermée dans la formule relativiste nous donnera demain la salle de bains portative et une monnaie à piles qui reléguera l'or dans la mémoire des westerns... La poésie devra-t-elle s'alimenter aux accumulateurs nucléaires et mettre l'âme humaine et son désarroi dans un herbier?
Nous vivons une époque épique et nous n'avons plus rien d'épique. A New York le dentifrice chlorophylle fait un paté de néon dans la forêt des gratte-ciel. On vend la musique comme on vend le savon à barbe. Le progrès, c'est la culture en pilules. Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule. Tout est prêt: les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir?
Dans notre siècle il faut être médiocre, c'est la seule chance qu'on ait de ne point gêner autrui. L'artiste est à descendre, sans délai, comme un oiseau perdu le premier jour de la chasse. Il n'y a plus de chasse gardée, tous les jours sont bons. Aucune complaisance, la société se défend. Il faut s'appeler Claudel ou Jean de Létraz, il faut être incompréhensible ou vulgaire, lyrique ou populaire, il n'y a pas de milieu, il n'y a que des variantes. Dès qu'une idée saine voit le jour, elle est aussitôt happée et mise en compote, et son auteur est traité d'anarchiste.

Divine Anarchie, adorable Anarchie, tu n'es pas un système, un parti, une référence, mais un état d'âme. Tu es la seule invention de l'homme, et sa solitude, et ce qui lui reste de liberté. Tu es l'avoine du poète.
A vos plumes poètes, la poésie crie au secours, le mot Anarchie est inscrit sur le front de ses anges noirs; ne leur coupez pas les ailes! La violence est l'apanage du muscle, les oiseaux dans leurs cris de détresse empruntent à la violence musicale. Les plus beaux chants sont des chants de revendication. Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations. A l'école de la poésie, on n'apprend pas: on se bat.
Place à la poésie, hommes traqués! Mettez des tapis sous ses pas meurtris, accordez vos cordes cassées à son diapason lunaire, donnez-lui un bol de riz, un verre d'eau, un sourire, ouvrez les portes sur ce no man's land où les chiens n'ont plus de muselière, les chevaux de licol, ni les hommes de salaires.
N'oubliez jamais que le rire n'est pas le propre de l'homme, mais qu'il est le propre de la Société. L'homme seul ne rit pas; il lui arrive quelquefois de pleurer.
N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres.
Je voudrais que ces quelques vers constituent un manifeste du désespoir, je voudrais que ces quelques vers constituent pour les hommes libres qui demeurent mes frères un manifeste de l'espoir. »
 
 
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18 novembre 2005 5 18 /11 /novembre /2005 00:00
                                      
Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais,
faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié
- tandis que je dodelinais de la tête, somnolant presque : soudain se
fit un heurt, comme de quelqu'un frappant doucement, frappant à la
porte de ma chambre - cela seul et rien de plus.
 
Ah! distinctement je me souviens que c'était en le glacial Décembre:
et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol.
Ardemment je souhaitais le jour - vainement j'avais cherché
d'emprunter à mes livres un sursis au chagrin - au chagrin de la
Lénore perdue - de la rare et rayonnante jeune fille que les anges
nomment Lénore: - de nom pour elle ici, non, jamais plus.
 
Et de la soie l'incertain et triste bruissement en chaque rideau 
purpural me traversait - m'emplissait de fantastiques terreurs pas
senties encore : si bien que, pour clamer le battement de mon coeur,
je demeurais maintenant à répéter : «C'est quelque visiteur qui
sollicite l'entrée, à la porte de ma chambre - quelque visiteur qui
sollicite l'entrée à la porte de ma chambre; c'est cela et rien de plus.»
 
Mon âme se fit subitement plus forte et, n'hésitant davantage : 
«Monsieur, dis-je, ou Madame, j'implore véritablement votre
pardon ; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si
doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à
la porte de ma chambre, que j'étais à peine sûr de vous avoir
entendu.» - Ici j'ouvris grande la porte : les ténèbres et rien de plus.
 
Loin dans l'ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m'étonner
et craindre, à rêver des rêves qu'aucun mortel n'avait osé rêver encore;
mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe :
et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté ; «Lénore!». Je le 
chuchotai - et un écho murmura de retour le mot «Lénore!» -
purement cela et rien de plus.
 
Rentrant dans la chambre, toute l'âme en feu, j'entendis bientôt un heurt
en quelque sorte plus fort qu'auparavant. «Sûrement, dis-je, sûrement 
c'est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce
qu'il y a et explorons ce mystère - que mon coeur se calme un moment
et explore ce mystère ; c'est le vent et rien de plus.»
 
Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation
d'ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit
pas la moindre révérence, il ne s'arrêta ni n'hésita un instant : mais,
avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessu de la porte de
ma chambre - se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la
porte de ma chambre - se percha -siégea et rien de plus.
 
Alors cet oiseau d'ébène induisant ma triste imagination au sourire, par
le grave et sévère décorum de la contenance qu'il eut : «Quoique ta
crête soit chue et rase, non! dis-je, tu n'es pas pour sûr un poltron,
spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit
- dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit?»
Le Corbeau dit : «Jamais plus!»
 
Je m'émerveillai fort d'entendre ce disgracieux volatile s'énoncer aussi
clairement, quoique sa réponse n'eût que peu de sens et peu 
d'à-propos ; car on ne peut s'empêcher de convenir que nul homme
vivant n'eut encore l'heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de
sa chambre - un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté
au-dessus de la porte de sa chambre avec un nom tel que:
«Jamais plus!»
 
Mais le Corbeau, perché solitairement sur ce buste placide, parla ce 
seul mot comme si mon âme, en ce 
seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de
plus : il n'agita donc pas d eplume - jusqu'à ce que je
fis à peine davantage que marmotter « D'autres amis
déjà ont pris leur vol - demain il me laissera comme
mes Espérances déjà ont pris leur vol.» Alors l'oiseau
dit : «Jamais plus!»
 
Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien 
parlée : «Sans doute, dis-je, ce qu'ilprofère est tout
son fond et son bagage, pris à quelque malheureux
maître que l'impitoyable Désastre suivit de près et
de très près, suivit jusqu'à ce que ses chansons
comportassent un unique refrain ; jusqu'à ce que les
chants funèbres de son Espérance comportassent le
mélancolique refrain de «Jamais - jamais plus!»
 
Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au
sourire, je roulai soudain un siège à coussins en
face de l'oiseau, et du buste, et de la porte ; et
m'enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner 
songerie à songerie, pensant à ce que cet augural
oiseau de jadis - à ce que ce sombre, disgracieux,
sinistre, maigre et augural oiseau de jadis
signifiait en croassant: «Jamais plus»
 
Cela, je m'assis occupé à le conjecturer, mais
n'adressant pas une syllabe à l'oiseau dont les yeux de
feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein; cela
et plus encore, je m'assis pour le deviner, ma tête
reposant à l'aise sur la housse de velours des coussins
que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de
velours qu'Elle ne pressera plus, ah! jamais plus.
 
L'air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé
selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins
dont le pied, dans sa chute, tintait sur l'étoffe du
parquet. «Misérable! m'écriai-je, ton Dieu t'a prêté - il
t'a envoyé par ses anges le répit - le répit et le népenthès
dans ta mémoire de Lénore! Bois! oh! bois ce bon
népenthès et oublie cette Lénore perdue!» Le Corbeau
dit: «Jamais plus!»
 
«Prophète, dis-je, être de malheur! prophète, oui, oiseau
ou démon! Que si le Tentateur t'envoya ou la tempête
t'échoua vers ces bords, désolé et encore tout
indompté, vers cette déserte terre enchantée - vers ce
logis par l'horreur hanté : dis-moi, véritablement, je
t'implore! y a-t-il du baume en Judée? - dis-moi, je
t'implore.» Le Corbeau dit: «Jamais plus!»
 
«Prophète, dis-je, être de malheur! prophète, oui, oiseau
ou démon! Par les cieux sur nous épars, - et le Dieu que
nous adorons tous deux - dis à cette âme de chagrin 
chargée si, dans le distant Eden, elle doit embrasser
une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore
- embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les
anges nomment Lénore.» Le Corbeau dit: «Jamais plus!»
 
«Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau
ou malin esprit», hurlai-je en me dressant. «Recule en
la tempête et le rivage plutonien de Nuit! Ne laisse pas
une plume noire ici comme un gage du mensonge qu'a
proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon! quitte le
buste au-dessus de ma porte! ôte ton bec de mon coeur
et jette ta forme loin de ma porte!» Le Corbeau dit:
«Jamais plus!»
 
Et le Corbeau, sans voleter, siège encore - siège encore
sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte
de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des
yeux d'un démon qui rêve, et la lumière de la lampe
ruisselant sur lui,projette son ombre à terre; et mon âme,
de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s'élèvera
- jamais plus!
 
Traduit par Stéphane Mallarmé.
 
Pour ceux qui voudraient la version originale en anglais ou la traduction de Baudelaire du même poème, rendez-vous là :
 
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14 novembre 2005 1 14 /11 /novembre /2005 00:00
 
                                                                           Au clair de la lyre
 
 
 
1.Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n'importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
7. Le droit de lire n'importe où.
8. Le droit de grappiller.
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
 
 Extrait de Comme un roman de Daniel Pennac
 
Et, j’ajouterais, modestement, le droit de lire Pennac et, bien sûr, de découvrir pleins de jolis blogs…
 
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2 novembre 2005 3 02 /11 /novembre /2005 00:00

                             

 

Un jour, Kanut, à l'heure où l'assoupissement
Ferme partout les yeux sous l'obscur firmament,
Ayant pour seul témoin la nuit, l'aveugle immense,
Vit son père Swéno, vieillard presque en démence,
Qui dormait, sans un garde à ses pieds, sans un chien ;
Il le tua, disant : « Lui-même n'en sait rien. »
Puis il fut un grand roi.

 

 

Toujours vainqueur, sa vie

 

 

Par la prospérité fidèle fut suivie ;
Il fut plus triomphant que la gerbe des blés ;
Quand il passait devant les vieillards assemblés,
Sa présence éclairait ces sévères visages ;
Par la chaîne des mœurs pures et des lois sages
À son cher Danemark natal il enchaîna
Vingt îles, Fionie, Arnhout, Folster, Mona ;
Il bâtit un grand trône en pierres féodales ;
Il vainquit les Saxons, les Pictes, les Vandales,
Le Celte, et le Borusse, et le Slave aux abois,
Et les peuples hagards qui hurlent dans les bois ;
Il abolit l'horreur idolâtre, et la rune,
Et le menhir féroce où le soir, à la brune,
Le chat sauvage vient frotter son dos hideux ;
Il disait en parlant du grand César : « Nous deux ; »
Une lueur sortait de son cimier polaire ;
Les monstres expiraient partout sous sa colère ;
Il fut, pendant vingt ans qu'on l'entendit marcher,
Le cavalier superbe et le puissant archer ;
L'hydre morte, il mettait le pied sur la portée ;
Sa vie, en même temps bénie et redoutée,
Dans la bouche du peuple était un fier récit ;
Rien que dans un hiver, ce chasseur détruisit
Trois dragons en Écosse, et deux rois en Scanie ;
Il fut héros, il fut géant, il fut génie ;
Le sort de tout un monde au sien semblait lié ;
Quant à son parricide, il l'avait oublié.
Il mourut. On le mit dans un cercueil de pierre ;
Et l'évêque d'Aarhus vint dire une prière,
Et chanter sur sa tombe un hymne, déclarant
Que Kanut était saint, que Kanut était grand,
Qu'un céleste parfum sortait de sa mémoire,
Et qu'ils le voyaient, eux, les prêtres, dans la gloire,
Assis comme un prophète à la droite de Dieu.

Le soir vint ; l'orgue en deuil se tut dans le saint lieu ;
Et les prêtres, quittant la haute cathédrale,
Laissèrent le roi mort dans la paix sépulcrale.
Alors il se leva, rouvrit ses yeux obscurs,
Prit son glaive, et sortit de la tombe, les murs
Et les portes étant brumes pour les fantômes ;
Il traversa la mer qui reflète les dômes
Et les tours d'Altona, d'Aarhus et d'Elseneur ;
L'ombre écoutait les pas de ce sombre seigneur ;
Mais il marchait sans bruit étant lui-même un songe ;
Il alla droit au mont Savo que le temps ronge,
Et Kanut s'approcha de ce farouche aïeul,
Et lui dit : « Laisse-moi, pour m'en faire un linceul,
Ô Montagne Savo que la tourmente assiége,
Me couper un morceau de ton manteau de neige. »
Le mont le reconnut et n'osa refuser.
Kanut prit son épée impossible à briser,
Et sur le mont, tremblant devant ce belluaire,
Il coupa de la neige et s'en fit un suaire ;
Puis il cria : « Vieux mont, la mort éclaire peu ;
De quel côté faut-il aller pour trouver Dieu ? »
Le mont au flanc difforme, aux gorges obstruées,
Noir, triste dans le vol éternel des nuées,
Lui dit : « Je ne sais pas, spectre ; je suis ici. »
Kanut quitta le mont par les glaces saisi ;
Et, le front haut, tout blanc dans son linceul de neige,
Il entra, par delà l'Islande et la Norvége,
Seul dans le grand silence et dans la grande nuit ;
Derrière lui le monde obscur s'évanouit ;
Il se trouva, lui, spectre, âme, roi sans royaume,
Nu, face à face avec l'immensité fantôme ;
Il vit l'infini, porche horrible et reculant
Où l'éclair, quand il entre, expire triste et lent,
L'ombre, hydre dont les nuits sont les pâles vertèbres,
L'informe se mouvant dans le noir ; les Ténèbres ;
Là, pas d'astre ; et pourtant on ne sait quel regard
Tombe de ce chaos immobile et hagard ;
Pour tout bruit, le frisson lugubre que fait l'onde
De l'obscurité, sourde, effarée et profonde ;
Il avança disant : « C'est la tombe ; au delà
C'est Dieu. » Quand il eut fait trois pas, il appela ;
Mais la nuit est muette ainsi que l'ossuaire,
Et rien ne répondit : pas un pli du suaire
Ne s'émut, et Kanut avança ; la blancheur
Du linceul rassurait le sépulcral marcheur ;
Il allait ; tout à coup, sur son livide voile
Il vit poindre et grandir comme une noire étoile ;
L'étoile s'élargit lentement, et Kanut,
La tâtant de sa main de spectre, reconnut
Qu'une goutte de sang était sur lui tombée ;
Sa tête, que la peur n'avait jamais courbée,
Se redressa ; terrible, il regarda la nuit,
Et ne vit rien ; l'espace était noir ; pas un bruit ;
« En avant ! » dit Kanut levant sa tête fière ;
Une seconde tache auprès de la première
Tomba, puis s'élargit ; et le chef cimbrien
Regarda l'ombre épaisse et vague, et ne vit rien ;
Comme un limier à suivre une piste s'attache,
Morne, il reprit sa route ; une troisième tache
Tomba sur le linceul. Il n'avait jamais fui ;
Kanut pourtant cessa de marcher devant lui,
Et tourna du côté du bras qui tient le glaive ;
Une goutte de sang, comme à travers un rêve,
Tomba sur le suaire et lui rougit la main ;
Pour la seconde fois il changea de chemin,
Comme en lisant on tourne un feuillet d'un registre,
Et se mit à marcher vers la gauche sinistre ;
Une goutte de sang tomba sur le linceul ;
Et Kanut recula, frémissant d'être seul,
Et voulut regagner sa couche mortuaire ;
Une goutte de sang tomba sur le suaire ;
Alors il s'arrêta livide, et ce guerrier,
Blême, baissa la tête et tâcha de prier ;
Une goutte de sang tomba sur lui. Farouche,
La prière effrayée expirant dans sa bouche,
Il se remit en marche ; et, lugubre, hésitant,
Hideux, ce spectre blanc passait ; et, par instant,
Une goutte de sang se détachait de l'ombre,
Implacable, et tombait sur cette blancheur sombre.
Il voyait, plus tremblant qu'au vent le peuplier,
Ces taches s'élargir et se multiplier ;
Une autre, une autre, une autre, une autre, ô cieux funèbres !
Leur passage rayait vaguement les ténèbres ;
Ces gouttes, dans les plis du linceul, finissant
Par se mêler, faisaient des nuages de sang ;
Il marchait, il marchait ; de l'insondable voûte
Le sang continuait à pleuvoir goutte à goutte,
Toujours, sans fin, sans bruit, et comme s'il tombait
De ces pieds noirs qu'on voit la nuit pendre au gibet ;
Hélas ! qui donc pleurait ces larmes formidables ?
L'infini. Vers les cieux, pour le juste abordables,
Dans l'océan de nuit sans flux et sans reflux,
Kanut s'avançait, pâle et ne regardant plus ;
Enfin, marchant toujours comme en une fumée,
Il arriva devant une porte fermée
Sous laquelle passait un jour mystérieux ;
Alors sur son linceul il abaissa les yeux ;
C'était l'endroit sacré, c'était l'endroit terrible ;
On ne sait quel rayon de Dieu semble visible ;
De derrière la porte on entend l'hosanna.

Le linceul était rouge et Kanut frissonna.

Et c'est pourquoi Kanut, fuyant devant l'aurore
Et reculant, n'a pas osé paraître encore
Devant le juge au front duquel le soleil luit ;
C'est pourquoi ce roi sombre est resté dans la nuit,
Et, sans pouvoir rentrer dans sa blancheur première,
Sentant, à chaque pas qu'il fait vers la lumière,
Une goutte de sang sur sa tête pleuvoir,
Rôde éternellement sous l'énorme ciel noir.

                                                                 

 

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27 octobre 2005 4 27 /10 /octobre /2005 00:00

                                              

                                              Mallarmé par Manet.

 

 
Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.
 
 
Stéphane Mallarmé
 
 
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5 octobre 2005 3 05 /10 /octobre /2005 00:00
 
                                                                   Victor Hugo, un artiste etèrnel... Bivar, une oeuvre génial de plus...
 
 
 Bivar était, au fond d'un bois sombre, un manoir
Carré, flanqué de tours, fort vieux, et d'aspect noir.
La cour était petite et la porte était laide
Quand le scheik Jabias, depuis roi de Tolède,
Vint visiter le Cid au retour de Cintra.
Dans l'étroit patio le prince maure entra ;
Un homme, qui tenait à la main une étrille,
Pansait une jument attachée à la grille ;
Cet homme, dont le scheik ne voyait que le dos,
Venait de déposer à terre des fardeaux,
Un sac d'avoine, une auge, un harnais, une selle ;
La bannière arborée au donjon était celle
De don Diègue, ce père étant encor vivant ;
L'homme, sans voir le scheik, frottant, brossant, lavant,
Travaillait, tête nue et bras nus, et sa veste
Était d'un cuir farouche et d'une mode agreste ;
Le scheik, sans ébaucher même un buenos dias,
Dit : « Manant, je viens voir le seigneur Ruy Diaz,
Le grand campéador des Castilles. » Et l'homme,
Se retournant, lui dit : « C'est moi.
                                               — Quoi ! vous qu'on nomme
Le héros, le vaillant, le seigneur des pavois,
S'écria Jabias, c'est vous qu'ainsi je vois !
Quoi ! c'est vous qui n'avez qu'à vous mettre en campagne
Et qu'à dire : « Partons ! » pour donner à l'Espagne,
D'Avis à Gibraltar, d'Algarve à Cadafal,
Ô grand Cid, le frisson du clairon triomphal,
Et pour faire accourir au-dessus de vos tentes,
Ailes au vent, l'essaim des victoires chantantes !
Lorsque je vous ai vu, seigneur, moi prisonnier,
Vous vainqueur, au palais du roi, l'été dernier,
Vous aviez l'air royal du conquérant de l'Èbre ;
Vous teniez à la main la Tizona célèbre ;
Votre magnificence emplissait cette cour,
Comme il sied quand on est celui d'où vient le jour ;
Cid, vous étiez vraiment un Bivar très-superbe ;
On eût dans un brasier cueilli des touffes d'herbe,
Seigneur, plus aisément, certes, qu'on n'eût trouvé
Quelqu'un qui devant vous prît le haut du pavé ;
Plus d'un richomme avait pour orgueil d'être membre
De votre servidumbre et de votre antichambre ;
Le Cid dans sa grandeur allait, venait, parlait,
La faisant boire à tous, comme aux enfants le lait ;
D'altiers ducs, tout enflés de faste et de tempête,
Qui, depuis qu'ils avaient le chapeau sur la tête,
D'aucun homme vivant ne s'étaient souciés,
Se levaient, sans savoir pourquoi, quand vous passiez ;
Vous vous faisiez servir par tous les gentilshommes ;
Le Cid comme une altesse avait ses majordomes ;
Lerme était votre archer ; Gusman, votre frondeur ;
Vos habits étaient faits avec de la splendeur ;
Vous si bon, vous aviez la pompe de l'armure ;
Votre miel semblait or comme l'orange mûre.
Sans cesse autour de vous vingt coureurs étaient prêts.
Nul n'était au-dessus du Cid, et nul auprès.
Personne, eût-il été de la royale estrade,
Prince, infant, n'eût osé vous dire : Camarade !
Vous éclatiez, avec des rayons jusqu'aux cieux,
Dans une préséance éblouissante aux yeux ;
Vous marchiez entouré d'un ordre de bataille ;
Aucun sommet n'était trop haut pour votre taille,
Et vous étiez un fils d'une telle fierté
Que les aigles volaient tous de votre côté.
Vous regardiez ainsi que néants et fumées
Tout ce qui n'était pas commandement d'armées,
Et vous ne consentiez qu'au nom de général ;
Cid était le baron suprême et magistral ;
Vous dominiez tout, grand, sans chef, sans joug, sans digue,
Absolu, lance au poing, panache au front. »
                                                                  Rodrigue
Répondit : « Je n'étais alors que chez le roi. »
Et le scheik s'écria : « Mais, Cid, aujourd'hui, quoi,
Que s'est-il donc passé ? quel est cet équipage ?
J'arrive, et je vous trouve en veste, comme un page,
Dehors, bras nus, nu-tête, et si petit garçon
Que vous avez en main l'auge et le caveçon !
Et faisant ce qu'il sied aux écuyers de faire !

— Scheik, dit le Cid, je suis maintenant chez mon père. »
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